Conférenciers invités

Cédric Dentant - Hervé Jactel - Monique Poulin - Mihai Pușcaș - Sandra Lavorel - Léonard Ouedraogo

 

Sandra Lavorel

Laboratoire d’Ecologie Alpine, Grenoble

SandraLavorel

Le prochain Graal - Les traits fonctionnels : des communautés végétales, aux interactions trophiques et au fonctionnement des écosystèmes

Le ‘Sacré Graal’ des recherches initiées sur les traits fonctionnels dans le cadre de la modélisation des impacts des changements globaux sur les écosystèmes était de parvenir à relier la réponse de la végétation à ces changements, principalement de composition atmosphérique et climatique, aux effets sur les cycles biogéochimiques. Plus de vingt ans plus tard, le champ des recherches sur les traits fonctionnels est florissant et a largement dépassé le seul modèle végétal. Parmi la diversité des questions restant des frontières de recherche, figure la possibilité d’expliquer les changements des processus écosystémiques non plus seulement par les propriétés fonctionnelles des communautés végétales, mais aussi par comment celles-ci influent sur les communautés animales ou microbiennes qui participent aussi au fonctionnement des écosystèmes. Sur la base d’un cadre conceptuel étendant la notion d’articulation réponse – effets aux interactions entre niveaux trophiques, je résumerai les avancées récentes sur ce nouveau front et discuterai les perspectives qu’elles ouvrent pour la quantification des services écosystémiques.

Note bibliographique

Sandra Lavorel est directrice de recherche CNRS au Laboratoire d'Ecologie Alpine à Grenoble. Ingénieur agronome et docteur en écologie, Sandra Lavorel s'intéresse aux changements des paysages et du fonctionnement des écosystèmes en réponse aux changements globaux (climat, utilisation des terres et invasions biologiques). Ses travaux pionniers sur les traits fonctionnels végétaux ont fondé un cadre de recherche original sur la dynamique de la biodiversité et ses implications fonctionnelles, et ouvert de nouvelles perspectives pour d'autres modèles biologiques. Ses recherches récentes portent également sur la modélisation des services écosystémiques sur la base des connaissances en écologie fonctionnelle. Les scénarios d'évolution des paysages et des services écosystémiques qu'elle élabore par de telles approches s'avèrent particulièrement utiles aux politiques d'aménagement et de gestion de la biodiversité.

 

Hervé JACTEL

INRA, umr BIOGECO, Equipe Ecologie des Communautés, Bordeaux-Cestas

HerveJactel 

Biodiversité et résistance des forêts aux insectes herbivores

Il est couramment admis que la biodiversité est un moteur du fonctionnement des écosystèmes et participe donc à la fourniture de nombreux services écosystémiques. Ainsi, les communautés végétales les plus riches en espèces sont en général plus productives que les monocultures, notamment en raison d'une meilleure utilisation des ressources en eau, lumière et nutriments. Elles abritent également un nombre plus important d'espèces animales associées, notamment les herbivores, qui devraient eux aussi augmenter leur exploitation de la ressource, ici végétale, et donc accroître leurs dégâts. Or, malgré tout, le "monde reste vert". Pour comprendre ce paradoxe, nous proposons dans un premier temps d'analyser la relation entre diversité végétale et patron d'herbivorie, en prenant pour exemple les comparaisons de niveau de dégâts d'insectes ravageurs entre forêts pures vs. mélangées. Dans un deuxième temps nous chercherons à expliciter les mécanismes sous-jacents au concept de résistance par association qui décrit la moindre vulnérabilité aux herbivores des plantes entourées de voisins hétérospécifiques. Enfin nous évoquerons les possibilités de synergies ou trade-offs entre services écosystémiques rendus par la biodiversité végétale (ex. production vs. régulation).

 

Cédric Dentant

Parc national des Écrins

CDentant

La place de la science dans un espace protégé : exemple de la végétation dans le Parc national des Écrins

La création d'espaces protégés a historiquement eu pour vocation la préservation, la conservation, la gestion de zones naturelles considérées comme exceptionnelles. Au-delà de cette approche généralement esthétique, une première question s'est rapidement posée : quelles sont les composantes naturelles de ces espaces qui en font la richesse communément acceptée ? Après de longues années basées sur une démarche exploratoire de ces zones (inventaires), une seconde question est apparue dans les années 90 : comment « conserver » cette richesse ?

Si ces deux questions peuvent sembler évidentes tant elles sont banalisées dans les discours contemporains sur la biodiversité, elles ne s'affranchissent pas de réflexions pragmatiques : qu'est-ce que « conserver » quand, notamment pour la végétation, on a affaire à des éléments dynamiques ? Qu'est-ce que « gérer » quand on veut en même temps « protéger » ? Quelle est la place de la connaissance scientifique et de la recherche dans ces optiques ?

En s'appuyant sur des exemples variées et concrets de travaux scientifiques sur les communautés végétales du territoire des Écrins, une réflexion propre à ce type d'espace et de questionnement sera proposée. Toujours sous forme d'exemples, nous essaierons de montrer comment la dichotomie pratique de « gestionnaires » et « chercheurs » masque parfois une réalité (ou du moins une nécessité) : le partage de la démarche scientifique.

 

Monique Poulin

Université Laval, Québec, Canada

MPoulin

Restaurer les bandes riveraines en milieu agricole par la plantation d’arbres : patrons de succession végétale et filtres écologiques

En Europe et en Amérique du Nord, le rétablissement des communautés végétales forestières en paysage agricole montre une certaine inertie, héritage des pratiques agricoles passées. Après abandon des cultures, plusieurs filtres écologiques interviennent en effet dans la structuration des communautés en régénération, notamment les conditions environnementales locales et les contraintes liées à la dispersion des propagules. En milieu riverain, les gradients écologiques sont très marqués et dirigés à la fois longitudinalement et transversalement au cours d’eau. Comment les milieux riverains se structurent-ils après l’abandon des pratiques agricoles ? Comment la restauration par la plantation d’arbres peut-elle accélérer les patrons de succession végétale dans ces milieux en régénération ? Nos travaux de recherche indiquent que la simple protection des milieux riverains en marge de parcelles agricoles n’est pas garante de leur évolution vers un stade forestier. Des mesures actives de restauration semblent nécessaires. A l’échelle de la planète, l’approche hydrogéomorphologique est privilégiée pour la restauration des milieux riverains et est souvent combinée avec l’introduction active de plantes et le contrôle des espèces exotiques. Au Québec, la restauration des rives est essentiellement centrée sur la plantation d’arbres, une approche exclusive utilisée sans égard à la gestion des régimes hydrologiques des cours d’eau. Il semble néanmoins que lorsque les milieux riverains bénéficient de cette approche, leurs communautés végétales deviennent similaires à celles des forêts riveraines non-perturbées après 12-14 ans. Les patrons de succession s’apparentent aux modèles de dynamique par seuil (threshold dynamics). Au cours de la succession, l’établissement des plantes de sous-étage est plus fortement influencé par des processus spatiaux agissant à l’échelle du paysage que par les conditions locales aux sites restaurés. Cependant, certaines espèces particulières semblent très sensibles aux conditions locales sous plantation, un phénomène que nous étudions de façon expérimentale pour isoler l’effet de la compétition, de la composition et structure du sol et de la dispersion. Enfin, l’intensification des pratiques agricoles peut affecter les communautés riveraines, notamment le succès de plantation. Au cours de cette présentation, je montrerai ainsi les résultats de recherche selon diverses approches afin de mettre en lumière la capacité de résilience des écosystèmes forestiers riverains dans un paysage agricole. Cette recherche s’inscrit dans l’élaboration de pistes de solution pour la restauration de ces milieux riches en diversité et dont les services écologiques sont nombreux.

 

 

Mihai Pușcaș

Jardin Botanique A. Borza, Université Babeș-Bolyai, Rue Republicii no. 42, 400015 Cluj-Napoca, Romania

 MPuscas

L'intégration de la diversité biologique à différents niveaux et échelles : l'exemple des communautés alpines en Europe

L'aire de distribution des plantes alpines a connu des changements spectaculaires au cours des périodes glaciaires du Quaternaire. Ce modèle spatialisé offre de nombreuses possibilités pour l'étude de l’effet de la contraction et de la fragmentation de l'habitat sur les diversités spécifique et génétique. Tout d'abord, je voudrais présenter ici la relation entre la diversité intra- et interspécifique à l’échelle de la communauté des plantes. Plus précisément, la diversité génétique basée sur des marqueurs AFLP de l'espèce Carex curvula ALL. a été examinée et mise en lien avec la diversité des espèces des prairies alpines européennes siliceuses, dans lequel ce taxon est dominant. Les résultats montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre les indices de diversité génétique et ceux sur la diversité des espèces. La richesse locale des communautés dépend du pool régional d’espèces alpines siliceuses. D'autre part, la diversité génétique de C. curvula est principalement marquée par l'emplacement présumé des refuges glaciaires et des routes de colonisation post-glaciaire. Nous avons ensuite posé la même question à l'échelle régionale : à savoir quelles sont les relations de co-variation des biodiversités spécifique et génétique ; et la diversité des espèces constitue-t-elle un bon prédicteur de la diversité génétique ? Notre démarche s'est appuyée sur une évaluation complète de la richesse en espèces de cormophytes et sur une approche multi-espèces pour estimer la diversité génétique des plantes, et nous avons utilisé comme modèle d'étude la flore vasculaire des hautes montagnes des Alpes et des Carpates. Les résultats sont similaires à ceux présentés au niveau de la communauté : la richesse des espèces n'est pas corrélée avec la diversité génétique. La richesse régionale des espèces est d’abord corrélée avec l'hétérogénéité de l'habitat, tandis que la diversité génétique est, elle, d'abord liée à la localisation des récents refuges glaciaires. La conclusion principale est que, pour le système alpin européen, les deux niveaux de diversité ne sont pas corrélés positivement, parce que les génotypes et les espèces ne réagissent pas de façon similaire à la dynamique spatiale des habitats favorables induite par les changements de température du Quaternaire. Il semble que les sanctuaires pour la richesse génétique ne se superposent pas avec les sanctuaires pour la richesse des espèces. Ces résultats ont des conséquences importantes pour la définition des réseaux de réserves. En effet, il y a lieu de prendre en compte non seulement la diversité des espèces, mais aussi leur diversité génétique.

 

Léonard Ouedraogo

Inspecteur des Eaux et Forêts à l’Office National des Aires Protégées du Burkina Faso. Direction Provinciale de l’Environnement, BP 610, Boromo, Burkina Faso

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Conservation et restauration du Parc National des Deux Balé au Burkina Faso : une approche originale croisant les enjeux floristiques, faunistiques et sociaux

Le Parc National des Deux Balé est situé au centre ouest du Burkina Faso, il accueille une faune et une flore diversifiées et notamment une importante population d’éléphants. Ce patrimoine naturel fait face à différentes menaces : désertification liée à la baisse pluviométrique et au prélèvement de bois, pâturage limitant la régénération, feux de brousse, orpaillage clandestin... Face à ces enjeux la Direction du Parc des Deux Balé a mis en place un important programme de restauration du Parc qui allie les enjeux floristiques, faunistiques et sociaux. La restauration du Parc a eu un impact important sur les habitants des environs, en effet une partie de la population avait pris l’habitude de venir y prélever du bois et plusieurs milliers de têtes de bétail y paturaient. La fin de ces activités  a conduit à un important travail d’accompagnement des populations riveraines du Parc. Les agents du Parc se sont ainsi associés à des professionnels pour proposer aux villageois proches du Parc de nouvelles activités économiques comme l’apiculture ou l’élevage de petits mammifères. Le Parc a par ailleurs fait l’objet de la création de plusieurs points d’eau, dont un important barrage en coeur de Parc, facilitant le maintien des populations animales et leur bonne circulation en saison sèche. L’élaboration et la mise en place d’un dispositif de suivi permanent de la végétation ligneuse a par ailleurs permis de recenser 72 espèces ligneuses, de qualifier l’état sanitaire des ces populations et de montrer que la régénération était globalement satisfaisante même si elle restait hétérogène. Un suivi régulier devrait permettre à terme d’évaluer l’impact des nouvelles mesures  de gestion sur les communautés animales et végétales.

 

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